Livraison : quelle logistique des marchandises pour nos villes?

Essentielle à l’approvisionnement, en pleine croissance avec la tendance du commerce en ligne, la livraison urbaine par camion doit se réinventer. Arrivées à saturation, les rues ne peuvent pas accueillir un nombre indéfini de véhicules. D’ailleurs, les milieux de vie que sont les quartiers habités des centres urbains acceptent de moins en moins la présence accrue de véhicules lourds, notamment vu les impacts sur la congestion, les collisions avec les piétons et cyclistes ou encore les émissions polluantes. Le camionnage ne disparaîtra pas mais il est appelé à prendre une place plus discrète dans nos villes.

 

 L’efficacité du camionnage 

La tendance du « juste à temps » a en partie transformé les camions en lieux d’entreposage roulants, prêts pour la livraison en flux tendus du lieu de production au lieu de destination. Le commerce en ligne accentue quant à lui les livraisons individuelles plutôt que vers des commerces, ce qui accroît le nombre de véhicules sur le réseau routier et leurs déplacements. Cette pression croissante sur les routes invite à répondre différemment que par l’ajout de camions sur nos routes saturées.

Dans l’efficacité du transport, le gain de temps entre le point A et le point B est souvent l’objectif. Mais, lorsqu’on ajoute de nombreux autres points de destination, le problème du commis voyageur se pose et le grand nombre de variables rend les solutions approximatives quant au meilleur réseau de distribution. Une meilleure rationalité des itinéraires de livraison est pourtant un défi constant tant pour les livreurs que les gestionnaires routiers.

Pour mesurer la bonne utilisation du réseau routier, le taux de chargement des camions est un indicateur permettant de révéler leur capacité résiduelle des véhicules. On estime à environ 60% le taux de chargement des camions alors que les modèles développés suggèrent une possibilité de 90% (Eric Ballot, CGS MINES ParisTech 2017). À Montréal, près d’un tiers des mouvements de camions sont effectués à vide (Simo, 2016). Quand on sait que 37% des GES proviennent du camionnage il y a là un gain potentiel en efficacité du transport et en lutte aux changements climatiques important.

C’est pour réaliser des gains d’efficacité que la logistique urbaine veut associer les intervenants du transport de différents intérêts, autour de solutions globales aux problématiques causées par le transport des marchandises en ville. Principal modèle de la logistique urbaine, l’internet physique entend  générer des données et de les partager afin d’optimiser les déplacements.

 

L’internet physique modèle de collaboration par la fluidification des données 

L’internet physique vise à rendre plus efficaces les réseaux logistiques: par un langage uniformisé, un meilleur partage de données et par une meilleure collaboration dans l’organisation territoriale de la livraison, on cherche à répondre aux défis de la prise de décision en transport des marchandises :

 « L’internet physique est un système logistique global tirant profit de ­l’interconnexion des réseaux d’approvisionnement par un ensemble standardisé de protocoles de collaboration, de conteneurs modulaires et d’interfaces intelligentes pour une efficience et une durabilité accrues. »

Définition donnée par Éric Ballot, Benoit Montreuil et Russell D. Meller les principaux chercheurs sur la question

 

C’est donc plus qu’une cartographie dynamique du territoire. C’est une matrice permettant aux différents intervenants de prendre la bonne décision. Mais le défi de la création de données reste encore réel, ne serait-ce que pour donner des noms de lieux et d’objets uniformisés. Le partage des données est aussi difficile, ces données sont très stratégiques pour les entreprises(Jason Demers, 2012), certaines pouvant faire partie de leurs modèles concurrentiels. En bref, l’internet physique requiert d’abord de pouvoir disposer de données partagées, avec un langage commun, permettant d’optimiser les itinéraires, le transbordement et l’entreposage (voir la vidéo: Qu’est ce que I’Internet Physique? Mines Paris Tech).

Parmi les initiatives de collaborations innovatrices notons à Montréal les initiatives de Cargo M ou encore en Europe, celles autour d’Alice (voir la vidéo: Alice Research and innovation Roadmap on Urban Logistics ). Citons aussi le partenariat de bonnes pratiques à Toulouse ou encore le « Green City Distribution » aux Pays-Bas qui a notamment vu se développer le réseau de transport durable des marchandises de Rotterdam.

 

Les hubs : pôles de transbordement stratégiques

En développant des données communes et en les partageant, il devient plus aisé d’utiliser le meilleur mode de déplacement (bateau, train, camion, vélo-cargo) au bon moment. Cela suppose donc que le transbordement (passage d’un mode de livraison à un autre) se fasse au meilleur endroit possible.

C’est pour cette raison que de très nombreuses villes fondées sur le commerce maritime sont localisées le plus en amont de leurs fleuves (pensons à Paris, Lyon, Montréal, etc.)  À partir des ports, le transbordement se fait du bateau au train ou du bateau au camion selon le lieu de livraison. C’est là où le ballet des marchandises est conditionné par la situation géographique et l’offre d’infrastructures. C’est aussi là qu’il se joue à l’échelle mondiale une compétition des villes à offrir des réseaux  intermodaux plus efficaces bénéficiant à l’ensemble de la chaîne logistique.

Un port est en soit un hub de transbordement,  dans lequel la recherche de l’amélioration de la logistique est constant.  Aux échelles territoriales plus régionales et plus locales, puisqu’il faut à la fois transborder et à la fois desservir des destinations multiples, différentes stratégies de gestion de la livraison peuvent être appliquées.

De manière privée, les grandes compagnies de redistribution disposent déjà de différents relais. C’est le cas à grande échelle pour le réseau d’Amazon mais c’est aussi vrai au Québec à l’échelle régionale  des centres de redistribution (tels ceux de Rona ou de Loblaws). C’est le cas de nombreux pôles de transbordement régionaux aux abords des autoroutes. L’idée évoquée dans cet article est de mutualiser ces sites de transbordement, de remplir les camions provenant de différents distributeurs, de décharger vers le mode de transport le plus approprié et le moins polluant. L’idée est d’utiliser le bon mode au bon endroit,  au meilleur de sa capacité de chargement. C’est le rôle des Centre de consolidation urbain en périphérie des villes ainsi que des espaces logistiques de proximité .

 

Mesures innovantes de gestion de la logistique urbaine

Dans la gestion de l’offre, offrir des réseaux stratégiques et des pôles de transbordement , soit des hubs efficaces est la clé :

Réseau de camionnage amélioré 

Un défi d’offre d’infrastructure mais aussi de gestion des contraintes (travaux et congestion). Montréal y travaille mais les très nombreux chantiers routiers obligent à une gestion du réseau de camionnage en constant ajustement et avec des alternatives réduites. C’est notamment ce qui pousse des villes à développer des initiatives d’amélioration des réseaux de camionnage et d’optimisation des mouvements de camions, telles que les aires de livraisons dynamiques en France.

Monaco est l’un des exemples les plus stricts sur la question du respect du réseau de camionnage, certaines rues étant strictement interdites aux camions, d’autres autorisant certains tonnages.

À Bordeaux, la ville a conçu des espaces de rassemblement des véhicules par quartier (Point d’accueil de véhicules).

 

Centre de consolidation urbain

Un lieu physique en ville offre une plateforme logistique qui permet de regrouper les livraisons de différents transporteurs.

On retrouve des centres de consolidation : à Stockholm, Londres, Bruxelles, ou encore à Bristol-Bath (Broadmead).

À Lille où un Centre de Distribution Multimodale Urbaine a été mis en place  et facilite l’accès aux différents types de transports (aérien, ferroviaire, routier, fluvial).

À Monaco avec des dispositions strictes relatives à l’utilisation et à l’occupation du domaine public et donc des centres de consolidation que le privé a développé.

Enfin, à La Rochelle, un centre de distribution urbain dessert le cœur historique de la ville en utilisant des véhicules électriques (la circulation des véhicules supérieurs à 3,5 t est interdite) on retrouve une initiative de ce type à Norwich (à lire: Rochelle and Norwich goods distribution and city logistics).

Des centres de consolidations urbains publics ont été étudiés, notamment théorisés par le chercheur québécois Benoît Montreuil et documenté par le MTQ, sans que le projet ne se concrétise.

 

Espaces logistiques de proximité

Des pôles de transbordement plus locaux se développent aussi et sont tout autant stratégiques. En effet, selon Transportation Research Procedia, la distribution des marchandises sur le dernier kilomètre représente entre 30 et 60 % du coût total de logistique. Donc, on parle de la plus petite distance, mais de contraintes fortes pour la chaîne d’approvisionnement, d’autant plus lorsqu’elle s’insère au cœur de nos villes qui cherchent à diminuer leur pollution.

C’est pourquoi on voit de plus en plus la livraison se faire avec des véhicules moins énergivores. Certaines villes ont ainsi développé des centres de distributions axés sur le tramway (notamment aux Pays-Bas et en Suisse à Zurich), le métro (Bruxelles),d’autres sur les camionnettes électriques (La Rochelle et Norwich) ou encore d’autres sur la livraison à vélo tel qu’à Montréal,  le projet Colibri.

Le projet Colibri offre un site préférentiel  pour la livraison à vélo, il a facilité le développement de la livraison écologique pour des joueurs qui cherchent à se positionner dans un créneau d’avenir (compagnies partenaires du projet (notamment Courant+, La roue libre et Purolator). Le projet n’a cependant pas encore conduit à tester la mutualisation, ce qui permettrait d’encourager encore la collaboration et l’amélioration des taux de remplissage.

La création de points de livraison de colis s’est aussi faite à Berlin avec Packstation et à Paris avec Colissimo pour que les particuliers puissent les récupérer en évitant les déplacements supplémentaires liés au dernier kilomètre.

Le transport de marchandises plus écologique est largement encouragé à Londres, où des mesures d’écofiscalité et des zones à faible émissions incitent à l’utilisation de flottes de livraisons moins polluantes. Cela a notamment conduit Londres Office dépôt à implanter un centre de micro-consolidation combiné avec des vélos-cargos.

C’est aussi le cas à plus large échelle à Monaco, où la diminution de la taille des camions est obligatoire via le règlement d’occupation du domaine public.

 

Limiter l’entrée en ville des camions polluants

N’oublions pas les mesures de gestion de la demande les plus répandues, qui invitent à rationaliser l’accès des camions en ville : livraison hors heure de pointe, péage ou tarification kilométrique et enfin zone de faible émission.

La Livraison hors heures de pointe est rependue dans de très nombreuses villes, notamment à New York, Barcelone ou encore, seulement sur certaines rues de Montréal (exemple : rue Sainte-Catherine dans le Village).

À Stockholm et à Londres les 3 méthodes de gestion de la demande ont été appliquées et se renforcent mutuellement.

 

Conclusion 

Il est impératif que les villes se questionnent sur les aspects élémentaires tels que la taille des camions autorisés, leurs zones et horaires d’accès, leur tarification ou leur interdiction. C’est le jumelage de différentes mesures qui permet des changements structurants dans la chaîne logistique et nous avons ici exploré les mesures les plus porteuses.

Pour améliorer les parcours de livraison, il faut avoir un réseau de camionnage bien hiérarchisé, mais aussi clair et actualisé car la gestion des entraves dues aux chantiers devient un casse-tête presque insoluble lorsque ces dernières sont trop nombreuses.

Certains lieux névralgiques sont néanmoins propices à des regroupements incitant au transbordement et à la mutualisation des données et des marchandises. C’est ce que vise la logistique urbaine, via le modèle de l’internet physique et la création de hubs de transbordement et de mutualisation des marchandises.  Ce modèle permet à la « toile » de se tisser autour des centres de distribution urbains (près du réseau supérieur des gares et des autoroutes) ainsi que des pôles logistiques de proximité (livraison à camionnettes électriques ou vélo-cargo) afin que les véhicules les plus adaptés et les moins polluants soient utilisés selon l’échelle géographique de la livraison.

Alors que le transport des marchandises par ballon dirigeable est à l’étude au Québec, et que la livraison par drones a débuté, il est d’autant plus important de mieux penser et mieux gérer la chaîne de livraison  afin de ne pas congestionner le ciel et ses horizons comme on a congestionné nos routes.

 

 

Félix Gravel,

L’auteur a participé à différentes recherches sur la logistique urbaine et la livraison du dernier kilomètre notamment au cours de son passage au conseil régional de l’environnement de Montréal, il a ensuite collaboré à implanter le projet Colibri de livraison à vélo au centre-ville de Montréal pour Valérie Plante.

 

 

Références complémentaires:

City Logistics: Concepts, Policy and Practice. MetroFreight Consortium.  https://globalcitylogistics.org/?page_id=92

City logistics: Urban consolidation center. http://www.citylogistics.info/tag/urban-consolidation-center/

Civitas https://civitas.eu/TG/urban-freight-logistics

Logicités. https://www.logicites.fr/

Logistique pour tous.fr.  http://logistique-pour-tous.fr/

 

 

 

 

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